Face à Trump, l’Afrique perd son Joker

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En fêtant ses cent premiers jours à la Maison blanche, Donald Trump les avait qualifiés de réussis comme jamais par un président américain avant lui. Chacun appréciera.

Si la réussite se mesure en coups de gueule, en escarmouches contre tout le monde, y compris dans son pays, alors nul doute qu’aucun locataire de la Maison blanche n’a fait mieux que lui.

Et l’Afrique n’a pas été épargnée: arrêt de l’aide, majoration des droits de douane, quasi-arrêt de l’immigration assorti de rationnement ou carrément de non-délivrance des visas pour les ressortissants de certains pays, réduction du nombre ou de la taille des ambassades et tutti quanti. Il ne s’est même pas privé de calomnies aussi infondées que désobligeantes. C’est le cas de la RDC accusée, pendant la campagne électorale, de déverser son plein de kulunas aux USA, accusations réitérées il y a peu encore. Le pays vient d’être formellement déconseillé de visite par les citoyens américains.

Force et porte-monnaie

De Donald Trump, on retiendra qu’il ne comprend que le langage du porte-monnaie et de la confrontation, surtout avec les faibles. Il n’a que mépris pour les limaces qui rampent devant lui. Il ne faut attendre de lui ni considération ni compassion envers les faibles.

Par contre, il est capable de respect ou, à tout le moins, de retenue et même de recul devant ceux qui lui tiennent tête : cas, pour les grands de ce monde, de la Russie, de la Chine et de l’Europe, des moyens comme l’Iran et l’Afrique du sud. Et même de petits comme le Groenland (58 000 habitants malgré l’immensité du territoire) que Trump s’était mis en tête d’acheter avec les deniers de sa tire-lire ou d’annexer aux USA.

Le Mexique et le Canada, voisins immédiats des USA avec qui ils ont le plus grand volume d’échanges commerciaux n’ont pas aussi courbé l’échine. Dans le cas du Canada, la réthorique annexioniste de Trump dont le rêve fou est d’en faire le 51ième État des USA -le Canada est trois plus étendu-, cela a plutôt produit un effet boomerang avec une montée de l’anti-americanisme concrétisé par la défaite inattendue du Parti conservateur pourtant donné large vainqueur avant que Trump ne s’invite avec ses intentions malveillantes. Et le nouveau Premier ministre Mark Carney s’est fait fort d’aller dire à Trump dans son Bureau ovale que le Canada n’était pas à vendre et que les canadiens sont prêts à aller voir ailleurs.

On ne saurait passer sous silence le cas du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Après son clash en direct avec Trump et son départ précipité de Washington, on a cru que c’en était fini de lui et de l’Ukraine. Pourtant, les contacts se sont depuis intensifiés, couronnés par un tête-à-tête au Vatican en marge des obsèques du Pape François. Même le langage envers Poutine a évolué.

Et l’Afrique ? Il y a peu le président Cyril Ramaphosa dont le pays est l’une des têtes de Turc préférées de Donald Trump a été reçu à la Maison Blanche. On voulait l’humilier publiquement notamment avec les fausses accusations d’un génocide afrikaner. Il les a démontées et a fini par avoir des discussions franches avec, à terme, des accords commerciaux équitables avec les USA. Bien avant lui, des pays africains -et pas parmi les plus en vue- ont eu des réactions conséquentes par rapport aux actions et discours de Trump : la Namibie, l’Eswatini (ex-Swaziland), le Lesotho, etc. Le sénégalais Bassirou Diomaye Faye a annulé le stage aux USA de son équipe féminine de basketball après qu’on a refusé le visa à certaines joueuses. Fierté nationale oblige. Le Nigéria a brandi l’arme des minérais stratégiques pour affronter les USA.

Leadership et responsabilité ?

Le cas de la RDC mérite une attention spéciale. Et c’est l’occasion de rappeler cette célèbre réflexion de Franz Fanon rappelée par Mobutu du haut de la tribune de l’ONU le 4 octobre 1973 : “l’Afrique a la forme d’un revolver dont la gâchette se trouve au Zaïre”(RDC, actuelle).

Qu’est-ce à dire ? Le scandale géologique “découvert” ou exploré par Henry Morton Stanley se révèle être le coffre-fort du monde, ce qui s’avère de plus en plus avec l’appétit vorace des nouvelles technologies pour les minérais dont regorge le pays en plus d’autres ressources du sol et des eaux, avec un potentiel hydro-électrique capable d’éclairer toute l’Afrique, par exemple. Ajoutons à cela la taille du pays et sa position au centre de l’Afrique : Franz Fanon ne croyait pas si bien dire ! La RDC s’impose comme l’épicentre virtuel de l’émancipation et du développement du continent.

De sociétés nucléaires comme la famille aux grands ensembles comme les pays où les continents, ceux à qui la nature ou le Créateur a fait la grâce d’être pourvus en intelligence, en entregent, en force, en ressources et moyens, etc. ont un devoir de leadership, de promotion et de protection de l’ensemble. C’est une mission et une responsabilité et s’en détourner vous rend coupable de péche et même de trahison devant l’Histoire.

Face aux chevauchées de Trump, la RDC pour ce qu’elle est et ce dont la nature lui a dotée devrait jouer un rôle de leadership en Afrique et pour l’Afrique dans le monde. Nous avons été placés dans ce pays dessiné par d’autres que nous et sans que nous le demandions ou que nous ayons plus de mérite que d’autres. Cette grâce implique des responsabilités.
Soyons donc le Joker que l’Afrique devrait sortir de son jeu pour gagner la manche.

Hélas …

En lieu et place de cela, qu’observe-t-on ? Nous bradons nos ressources, notre puissance et notre souveraineté pour des intérêts égoïstes. C’est un peu comme une prostituée qui vend ses charmes au bord du trottoir au lieu d’être cette belle fille promise à un mariage de rêve.

Car il faut dire que c’est avant tout pour des intérêts égoïstes et le salut d’un régime que le deal a été proposé -par nous, ne l’oublions pas-, qu’il est négocié et sera conclu. Projetons-nous des années en avant : quelle lecture l’Histoire en fera-t-elle ? Que pour faire face à un minuscule pays que nous n’avons pu vaincre, nous nous sommes livrés âme, corps et biens à la première puissance mondiale. C’est un peu comme faire appel au plus grand chirurgien du monde pour se débarrasser d’un bout d’ongle incarné dans l’orteil !

On n’en serait pas à ce deal scélérat si nous avions été capables d'”atteindre Kigali à partir de Goma”, de “faire fuir Kagame de chez lui”, comme l’avait déclamé le président Tshisekedi ou si nous avions fait honneur à l’option de “la guerre dans les airs, sur terre et sur mer”, comme nous l’avait promis notre plagiaire national.

C’est à cause l’incapacité du régime de gagner la guerre et qu’il n’était même plus loin de perdre que le pays est offert aux serres et bec crochu de l’aigle américain.

D’égal à égal ?

Dans ces conditions, peut-on prétendre que le deal a été négocié d’égal à égal pour aboutir a un partenariat gagnant-gagnant, comme on le clame ? Il n’y a que les naïfs et les thuriféraires du pouvoir pour le croire. Qu’on sache et se souvienne qu’une fois pris dans les serres de l’aigle américain, on ne s’en sort pas !

La menace de l’interdiction des visas est révélatrice à plus d’un titre. Alors que certains pays lèvent dignement la téte, cas du Nigeria et du Sénégal, nous on se gausse plutôt du Congo/Brazzaville placé sur cette liste et on envoie une délégation ministerielle négocier avec l’ambassadrice. Mais pour lui dire quoi ? Que nous ne sommes pas comme les autres alors que nous n’avons même de carte d’identité, document de base pour un passeport ? Lui proposer quoi en contrepartie ? Ne devrait-on pas, à cette occasion prendre la tête d’une croisade contre le traitement humiliant et inique que l’administration Trump, raciste et méprisant à souhait, réserve à l’Afrique ? Qui peut le faire : la Guinée Bissau, Cap Vert, la RCA ?

Ni joker, ni gachette

La RDC malheureusement n’est pas le joker que l’Afrique, subsaharienne spécialement, peut sortir de son jeu et moins encore la gâchette du revolver figuré par Franz Fanon. Aux africanistes, panafricanistes, nationalistes et patriotes à méditer et tirer les conséquences.

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