Analyse juridique approfondie du réquisitoire de l’auditeur militaire visant Joseph Kabila, à la lumière de la Constitution de la République Démocratique du Congo (RDC) et de la loi n° 18/021 du 26 juillet 2018 relative au statut des anciens Présidents de la République élus, ainsi que du droit pénal congolais applicable :
I. Statut de Joseph Kabila : Ancien Président élu vs Sénateur à vie
1. Qualité juridique principale : Ancien Président de la République élu
Selon l’article 104 alinéa 8 de la Constitution, « le Président de la République élu et ayant terminé son mandat devient de droit sénateur à vie ». Cela signifie que le statut de sénateur à vie découle de celui d’ancien Président élu.
2. Loi n°18/021 sur les anciens Présidents élus
Cette loi accorde une protection spécifique à l’ancien Président élu :
Article 2 : garantit la sécurité juridique, morale et physique.
Article 3 : stipule que « l’ancien Président de la République élu ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou jugé pour des faits commis dans l’exercice de ses fonctions ».
Article 4 : introduit une procédure spéciale pour les faits hors exercice des fonctions, nécessitant une autorisation du Parlement réuni en Congrès à la majorité des 2/3.
II. Violation de la procédure constitutionnelle de poursuite
1. Constitution, article 164 & article 166
L’article 164 précise que seuls les actes accomplis dans l’exercice des fonctions sont protégés, laissant donc la possibilité de poursuite pour les actes hors fonction, selon procédure spéciale.
L’article 166 prévoit que « toute infraction commise par le Président de la République dans l’exercice ou en dehors de ses fonctions relève de la compétence de la Cour constitutionnelle » si elle est qualifiée de haute trahison ou de complot contre l’État.
2. Problème de qualification de la personne poursuivie
L’auditeur général poursuit Joseph Kabila en tant que sénateur à vie, non comme ancien Président élu. Cela constitue une violation manifeste du principe d’immunité spéciale attachée à son statut de Président honoraire, tel que protégé par la Constitution et la loi de 2018.
III. Sur la nature des faits reprochés : complicité avec le M23-AFC
1. Faits reprochés
L’auditeur général accuse Joseph Kabila d’intelligence avec les forces rebelles du M23-AFC, ce qui constituerait :
Une infraction de haute trahison (atteinte à l’intégrité territoriale, art. 166 Constitution),
Une infraction contre la sûreté de l’État prévue au Code pénal militaire.
2. Compétence judiciaire
Même si les faits sont graves, la compétence de la justice militaire n’est pas acquise pour juger un ancien Président de la République :
C’est la Cour constitutionnelle qui est seule compétente, sur base de l’article 166 de la Constitution.
La mise en accusation doit obligatoirement résulter d’une décision du Parlement réuni en Congrès, à la majorité des 2/3 (art. 166, dernier alinéa).
IV. Conclusion juridique
1. Sur la régularité de la procédure engagée
La procédure initiée par l’auditeur général n’est pas conforme à la Constitution ni à la loi n°18/021 :
Erreur de qualification statutaire (sénateur à vie vs ancien Président élu),
Violation de la procédure de mise en accusation (absence de décision du Parlement),
Incompétence de la justice militaire pour juger un ancien Chef de l’État.
2. Sur le fond de l’affaire
Si les accusations sont avérées, elles relèveraient d’une infraction grave (haute trahison).
Mais seule une procédure constitutionnelle régulière permettrait d’instruire et de juger ce type de faits.
V. Recommandations juridiques
1. Saisine du Parlement en Congrès pour autoriser d’éventuelles poursuites.
2. Saisine de la Cour constitutionnelle, compétente pour juger un ancien Président.
3. Respect du principe d’immunité attachée au statut d’ancien Chef de l’État.
Me Philémon MUKAMBA
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