La République démocratique du Congo prolonge de trois mois la suspension des exportations de cobalt, une mesure adoptée initialement en février dernier par l’Autorité de régulation et de contrôle des marchés des substances minérales stratégiques (ARESCOMS). Cette décision, en vigueur depuis le 21 juin 2025, intervient dans un contexte de saturation persistante du marché international, où les stocks disponibles excèdent largement les capacités d’absorption des acheteurs, notamment asiatiques.
Ce gel temporaire concerne l’ensemble du cobalt extrait sur le territoire congolais, qu’il soit issu de l’exploitation industrielle, artisanale ou semi-industrielle. L’objectif affiché est clair : freiner l’effondrement des cours, préserver la rentabilité des producteurs locaux et reprendre le contrôle sur un segment minier où la RDC concentre à elle seule environ 70 % de la production mondiale, selon les données du US Geological Survey. Ce niveau de concentration confère à Kinshasa un levier inédit, mais encore faiblement exploité à des fins de régulation.
Les premières tensions sur les prix sont apparues dès la fin de l’année 2024, alimentées par une demande chinoise moins vigoureuse que prévu et une montée en puissance des projets de recyclage dans l’Union européenne. Résultat : les prix spot du cobalt raffiné ont chuté de plus de 28 % entre janvier et mai 2025, passant sous la barre critique des 28 000 dollars la tonne à la London Metal Exchange. Une situation intenable pour les opérateurs locaux dont les coûts de production, particulièrement dans l’artisanat structuré ou non, dépassent souvent les 20 000 dollars par tonne.
En décidant de proroger la suspension, l’ARESCOMS tente d’imposer une forme de discipline de marché, à défaut de disposer d’un mécanisme formel de régulation internationale. Mais cette politique de rétention, bien qu’efficace sur le court terme pour freiner la dégringolade des prix, expose le pays à un ralentissement de ses recettes minières. Le cobalt représentait encore près de 17 % des exportations minières congolaises en 2023, générant plus de 3,1 milliards de dollars en devises selon les chiffres de la Banque centrale du Congo. Une contraction prolongée des volumes exportés pourrait mécaniquement affecter la liquidité en dollar sur le marché local, avec des répercussions sur la stabilité du taux de change.
Le manque de capacités de transformation locale reste l’un des goulets d’étranglement de la stratégie congolaise. Sur les plus de 130 000 tonnes de cobalt extraites en 2024, moins de 3 % ont été partiellement transformées sur place, le reste étant exporté à l’état brut, principalement vers la Chine. Cette dépendance technologique limite les marges de manœuvre, malgré l’abondance de la ressource. Plusieurs projets de raffineries locales sont annoncés, mais leur mise en œuvre reste lente, freinée par l’environnement réglementaire, les risques logistiques et les coûts d’infrastructure.
À ce jour, aucune date ferme n’a été avancée quant à la fin de la mesure. L’ARESCOMS indique qu’une décision sera prise à l’approche de la prochaine échéance trimestrielle, soit à la fin du mois de septembre. Elle pourrait déboucher sur une levée partielle, un élargissement de la suspension à d’autres minerais associés (comme le germanium ou le tantale), ou un prolongement selon l’évolution des stocks et des prix mondiaux.
Pour les autorités congolaises, cette régulation ponctuelle pourrait préfigurer une politique plus affirmée de souveraineté minière, dans un contexte où la valeur stratégique des métaux pour la transition énergétique mondiale redéfinit les équilibres géoéconomiques. Mais encore faut-il que cette approche s’accompagne d’investissements concrets dans l’aval de la chaîne, sans quoi la maîtrise du tempo minier congolais restera une illusion suspendue à la demande étrangère.
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